Allais au Chat noir, l’anarchiste du rire

Henri Rivière Déjeuner au Chat Noir - Georges Auriol, Alphonse Allais, Henri Jouard entre 1887 et 1894

Henri Rivière - Déjeuner au Chat Noir - Georges Auriol, Alphonse Allais, Henri Jouard entre 1887 et 1894

Alphonse Allais et le Chat noir (cabaret et journal) sont quasiment indissociables et l’influence qu’ils ont exercé l’un sur l’autre aura laissé une empreinte indélébile.

Dès son ouverture en 1881, Le Chat noir accueille Alphonse Allais. Il est âgé de 28 ans lorsqu’il commence, le 6 mai 1882, sa collaboration longue de près de onze années au journal sous la signature de K. Lomel. Il publie une chronique scientifique dont le début donne le ton : « Il est temps de mettre un terme à la fumisterie absurde qui consiste à faire faire des cours dans les facultés par des messieurs très de noir habillés et très ennuyeux. Le journal Le chat noir s’est adjoint quelques professeurs distingués qui donneront à cette place une série de leçons attrayantes. Un cours de chimie se déroulera ainsi sous l’air connu « A la façon de Barbari ». 

Suivront deux autres chroniques pseudo-scientifiques sous ce même pseudonyme. Le nom d’Alphonse Allais n’apparaît que le 6 janvier 1883 en ces termes : « Alphonse Allais, masculin méridional, né Pézenas ; pharmacien agriculteur, inspecteur de biberons aux Invalides, chevalier de plusieurs ordres distingués ; ex-dentiste de trois têtes couronnées… ». On devine sans mal qui est l’auteur de cette présentation.

17 mars 1883 : paraît « Un rêve ». C’est le premier texte signé Alphonse Allais. Un apothicaire blond filasse idolâtre une jeune fille pure et radieuse qui passe devant la pharmacie sans jamais y entrer. Un jour elle franchit le pas et le pas de la porte. Emotion évidente de l’amoureux transi, mais la chute est d’un prosaïsme absolu puisque de la jolie bouche de la demoiselle sort cette phrase terrible : « vouderiez vous m’donner pour deux sous d’onguent gris ? » L’onguent gris étant utilisé pour le traitement de la syphilis, il est aisé de comprendre de quoi vit et va mourir la pauvre enfant…

Un rêve ! Texte complet.

La collaboration d’Alphonse Allais au Chat noir ne cessera de croître et il sera nommé rédacteur en chef de l’hebdomadaire en octobre 1886. Il n’en est pas riche pour autant. Narcisse Lebeau, conteur prolixe du journal, se souvient qu’il habitait alors rue des Martyrs en 1888, pour 25 frs par mois dans une chambre meublée : « Allais acquittait difficilement son loyer et l’on s’expliquera qu’il eut peu d’argent pour le faire, si l’on songe que Salis lui donnait 150 frs par mois pour tout potage et le nourrissait. Il est vrai que pour cette maigre prébende Allais se contentait d’écrire un article par semaine (ses articles de cette époque-là sont des chefs-d’œuvre !) et de faire chaque soir, fin saoul mais incomparablement spirituel, marcher la consommation au cabaret du rez-de-chaussée ».

Des chefs-d’œuvre en effet ! Allais excelle dans les renversements de situations inattendues qui témoignent de sa causticité et de sa virtuosité. Avec désinvolture, effronterie, un goût d’en découdre et parfois un prosaïsme délibéré, il se plaît à changer les règles du jeu, à brouiller les pistes, à malmener les codes du savoir écrire ou du savoir vivre.

Des « combles » aux poèmes holorimes, aux fables-express, aux monologues, aux contes, souvent à dormir debout, jusqu’aux chroniques parues sous le pseudonyme du critique Francisque Sarcey, Alphonse Allais produit quantité de textes (on en compte environ cent quatre vingts (record inégalable pour un être qui faisait l’éloge de la paresse).  Il en regroupera quarante-cinq en 1891 dans son volume À se tordre, histoires chatnoiresques, paru chez Ollendorff, et d’autres qu’il dispersera dans ce qu’il appelle, non sans malice, Œuvres anthumes.

Marine Degli

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